Margaux Roux, Directrice Associée chez Chacun Son Café, a accepté de répondre à nos questions et nous parle des valeurs et ambitions de l'entreprise !
Bonjour Margaux, quelle est la mission de Chacun Son Café au quotidien ?
Nous faisons partie de la première vague des entreprises à impact. Dès 2005, nous avons proposé des machines à grains aux entreprises pour une sortie des capsules par le haut, et offrir un café plus qualitatif, plus authentique, avec une empreinte environnementale incomparable.
Aujourd’hui, notre mission se poursuit en faisant du café un levier de réponse au défi climat et social, deux sujets interdépendants.
Peux-tu nous en dire plus sur ce modèle économique et ces nouvelles ambitions ?
Notre rôle est d'entraîner les grandes entreprises - pour le moment françaises - dans le financement d’un programme de transformation sociale et agricole des zones rurales de culture du café : TERRA NOUN PROJECT. Et cela se fait avec notre modèle ONE CUP ONE CENT : chaque fois qu’un collaborateur consomme un café, il contribue à hauteur de 1 centime d’euros dans cette aventure de transformation.
Il faut savoir que la valeur finale de café contenue dans une tasse est de 18 centimes. La contribution de 1 centime représente donc plus de 5,5% du chiffre d’affaires, ce qui associe les communautés de cultivateurs à la valeur ajoutée finale du produit là où il est consommé.
© Chacun Son Café
Cette dimension est très importante. Les collaborateurs se réapproprient leur contribution, ce qui donne encore plus de saveur à leur tasse de café. Il y a un rapport qui se crée entre ces populations et nos clients, et ça c’est pour nous une grande réussite. Il ne s’agit pas d'aide mais de commercer avec le “Sud” de façon tout simplement plus juste, et je crois pouvoir dire en redonnant du sens au mot “équitable”. Nous faisons tout simplement du commerce ensemble, il s’agit d’un modèle inclusif.
Tout le monde en sort très largement gagnant : les consommateurs, les fermiers, le climat et la biodiversité. D’ailleurs, nous comptons plusieurs grands groupes parmi nos clients qui ont très bien compris notre démarche et nous soutiennent, comme LVMH, Edenred ou encore les grands groupes du monde mutualiste comme la Maif.
Pourquoi est-ce important d’intervenir dans les régions de culture de café ?
Les meilleurs cafés poussent en altitude dans les zones de forêts tropicales millénaires qui sont à la fois les plus importants puits de carbone de la planète et des zones de concentration de la biodiversité.
La région où nous agissons actuellement avec TERRA NOUN PROJECT, le bassin du Congo au Cameroun, est le premier poumon vert de la planète. Elle ne compte pas moins de 300 espèces de mammifères, 10% de la biodiversité mondiale dont 30% endémique qu’il faut impérativement protéger. Mais c’est en même temps des zones de grande pauvreté, où les tensions alimentaires commencent à vraiment se faire sentir. Cela se traduit par des exodes ruraux vers les bidonvilles des métropoles avoisinantes.
Donc tout ce dont nous ne voulons pas va finir par arriver : flux migratoires, natalité exponentielle, destruction des forêts primaires et de leur biodiversité... pourtant des solutions existent et il est parfaitement possible de changer cette trajectoire.
Effectivement, du zéro déchet à la transformation des modèles agricoles, il y a eu un grand pas !
Oui, nous avons considérablement avancé depuis nos débuts. Aujourd'hui, tout d’abord, nous sommes devenus la première B Corp française de la filière du café. En soit, ça ne produit rien, ce n’est que la traduction d’un engagement.
Et surtout, Chacun Son Café s’est développé comme une entreprise à deux têtes : d’un côté nous développons un savoir-faire autour d’un service aux entreprises pour leur fournir le meilleur café possible, au coût et à l’empreinte environnementale la plus basse possible; et de l’autre nous avons un savoir-faire de financement et de transformation sociétale, c'est-à-dire agricole, mais aussi autour de l'émancipation financière des populations rurales.
En fait, on associe activité commerciale et action qui s'apparente à celle d'une ONG, les deux reliées par notre modèle économique qui permet le financement. Cette façon d’associer les deux est peut-être un modèle du futur, c’est d’ailleurs celui valorisé par B Corp : réunir profit et bien commun.
Quel rôle joue Chacun Son Café sur le terrain ?
Notre rôle est de fédérer les fermiers des petites exploitations. Pour cela, nous créons une coopérative que nous dotons de garanties d’achat du café à des tarifs rentables avec des systèmes de primes :
© Chacun Son Café
À partir de là, tout se met naturellement en place même si cela prend évidemment un peu de temps. Il faut comprendre que nous sommes liés au rythme des saisons. Les arbres poussent à leur vitesse, c’est aussi ça qui fait de la reforestation une course, et nous ne rattraperons jamais le temps perdu. C'est une illusion de penser l’inverse et pour le moment les meilleurs puits de carbone terrestre restent nos forêts tropicales millénaires.
Quelle est votre prochaine étape ?
Nous voulons accélérer cette transformation à travers trois leviers :
© Chacun Son Café
Ce dernier point s’apparente en effet davantage à l’action d’une ONG. Pourquoi c’est important ?
Dans tous les pays développés, l’agriculture est subventionnée, mais cette action est limitée aux frontières de la zone en question. Pourtant, les exploitations qui occupent les zones rurales tropicales nous nourrissent aussi, et ce sont d’elles dont dépend la survie du patrimoine naturel mondial de l’humanité.
Or, elles sont souvent en difficulté : ce sont des fermes familiales qui ont moins de 2,2 hectares de surface d’exploitation, situées dans des zones rurales extrêmement isolées, escarpées, difficiles d'accès, dont bon nombre de leurs propriétaires ne savent ni lire ni écrire, d’où la grande difficulté.
© Chacun Son Café
Nous trouvons légitime qu’elles puissent bénéficier des subventions internationales au même titre qu’un agriculteur européen à la PAC, d’autant que l’agriculture biologique d'aujourd'hui n’a rien à voir avec celle d'il y a 50 ans. Il est aujourd’hui possible d'obtenir des rendements très importants en pleine forêt, mais cela exige le développement et l’accès aux nouvelles technologies. Pour cela, il faut des moyens.
Je crois qu’un vrai virage s’est fait. Si tout le monde n’a pas encore cessé l’usage des capsules, une majorité a compris qu’il s'agit d’un mode de consommation qui appartient au passé, parce qu’il n’est tenable ni environnementalement ni politiquement pour une entreprise. D’autres fournisseurs de solutions café ont maintenant pris le relais sur le sujet. Nous regardons cela avec amusement et en même temps, c’est une certaine fierté de se dire que nous avons été les premiers ! Mais nous sommes résolument tournés vers l’avenir, alors nous avançons sur des nouveaux enjeux avec plus d’ambition.
Notre rôle est de fédérer les fermiers des petites exploitations. Pour cela, nous créons une coopérative que nous dotons de garanties d’achat du café à des tarifs rentables avec des systèmes de primes :
à la plantation d’arbres qui, une fois adultes, seront des puits de carbone,
à la scolarité : une partie des bénéfices est utilisée pour créer une bourse aux livres, financer des cours de soutien, etc.
à la plantation diversifiée régénératrice de la biodiversité
Nous avons notamment innové en créant un modèle économique qui implique nos clients dans un dispositif qui permet le financement d’actions concrètes à très fort impact dans les régions de culture de café.
Quel est ton rôle au sein de Chacun Son Café et de cette large mission ?
Je suis Directrice Associée chez Chacun Son Café aux côtés de Marc Gusils, son Président. Mon rôle est d’informer - un terme que nous préférons à celui de “communiquer” - alors que nous devons réduire notre empreinte carbone, participer au débat public et faire avancer les esprits, notamment chez nos clients.
Il y a aujourd’hui un vrai paradoxe : nous souhaitons préserver nos ressources naturelles parce que nous considérons qu’il s’agit d’un patrimoine commun, mais que faisons-nous réellement ? Il ne suffit pas d'aller sur un réseau social et de dire que ce qui se passe n'est pas bien. Le seul impact que cela a est celui d’utiliser plus d'énergie. Il faut apporter des solutions concrètes et les appliquer à grande échelle.
J’ai donc pour objectif que nos clients puissent se réapproprier la démarche pour vivre l’expérience concrète du changement. Qu’ils prennent conscience qu’il est possible de retrouver une emprise sur ce qui se passe. Il y a aussi dans mon travail un volet institutionnel notamment pour les aides publiques destinées aux agriculteurs. Ce sera le grand chantier 2022, ça doit être ce qu’il me reste de Science Pô !